Le patrimoine oral et immatériel de l'humanité est un label créé en 1989 en vue de la protection des expressions et traditions orales, de la musique, de la danse, des rituels, de la mythologie et des savoir-faire liés à l'artisanat ainsi que des espaces culturels fragilisés ou menacés par la modernité et la mondialisation.
En 2004, la Belgique et la France ont présenté un dossier transfrontalier et commun de candidature de leurs géants et de leurs fêtes au titre de chefs-d’œuvre du patrimoine oral et culturel et immatériel de l’humanité auprès de l’Unesco. À Paris, le vendredi 25 novembre 2005, ce fut la proclamation par l’Unesco des géants et dragons processionnels au titre de chefs-d’œuvre du patrimoine immatériel de l’humanité. Selon les critères définis par l’Unesco, des manifestations caractéristiques et exemplaires ont été retenues pour chaque pays : Pour la France, ce sont les géants et leurs fêtes à Douai (fêtes de Gayant) et Cassel (carnaval) ainsi que les animaux gigantesques et leurs fêtes à Tarascon (fête de la Tarasque) et Pézenas (carnaval). Pour la Belgique, ce sont les géants et leurs fêtes à Termonde (Ommegang), Malines (Ommegang), Mons (la ducasse et le combat dit « Lumeçon »), Ath (la ducasse) et Bruxelles (le Meyboom).
Les porteurs du dossier de candidature multinationale auprès de l’Unesco, sous la coordination de Jean Pierre Ducastelle, président de la Maison des Géants d’Ath sont : pour la France, l’association régionale La Ronde des Géants, pour la Belgique, la Maison des Géants d’Ath et le Vlaams Centrum voor Volkscultuur et les villes et associations des fêtes et des géants concernés en France et en Belgique.
A travers ces géants et leurs fêtes, c’est l’ensemble des manifestations gigantesques propres à chaque pays qui sont concernées. Cette proclamation en tant que chefs-d’œuvre du patrimoine culturel et immatériel de l’humanité permet une valorisation de ces fêtes populaires et leur sauvegarde. La prise de conscience de l’importance du patrimoine immatériel est un fait majeur dans le domaine de la défense et l’illustration de l’identité des peuples face à la mondialisation. Cette reconnaissance est un soutien pour toutes les associations et tous les acteurs des fêtes des géants, éléments représentatifs de notre diversité culturelle.
La proclamation a pour principaux objectifs de :
L'enracinement dans la tradition culturelle
Les géants sont enracinés dans la culture locale et régionale. La plupart des fêtes sont nées à la fin du moyen âge. La Bible, la Légende dorée ou les récits de l’épopée inspirent les premières créations au 15ème siècle. Les géants témoignent d’une grande richesse historique et culturelle liée à l’identité locale. Cette richesse évolue au fil du temps et s’adapte aux problèmes de l’époque. Les géants affirment l’identité des différentes cités. On retrouve leurs sigles dans les documents officiels, dans le com- merce local. Ils portent aussi les couleurs de leur ville ou ses armoiries. Les géants contribuent à affirmer la personnalité d’une ville et favorisent les échanges locaux, nationaux ou internationaux. Ainsi, le Poulain de Pézenas est allé en Inde dans le cadre d’échanges culturels. La Tarasque a participé, en 1999 et en 2004, à des cortèges de géants à Lille. Les géants du Meyboom à Bruxelles prennent part à de nombreuses rencontres.
Neuf fêtes emblématiques
L’Unesco a reconnu neuf fêtes emblématiques : à Ath, Bruxelles, Malines, Mons et Termonde, pour la Belgique et Cassel, Douai, Pézenas et Tarascon, pour la France. Dans tous ces sites, les géants et les bêtes de grande taille ont plusieurs siècles de vie, pratiquement sans interruption. Ils sont devenus identitaires et sont très présents dans l’esprit et le cœur des habitants. A côté de l’origine religieuse et procession-nelle qui est la plus répandue, le Poulain de Pézenas est plutôt une représentation pittoresque de sa ville depuis le 17ème siècle tandis que les deux géants de Cassel animent les fêtes de carnaval depuis le 19ème siècle. Dans les exemples choisis, les géants ou les dragons constituent des éléments principaux de la fête qui n’aurait pas la même valeur sans eux.
Une valeur exceptionnelle
Cette valeur exceptionnelle tient tout d’abord dans l’ancienneté du rite qui se répète depuis des siècles. Celui-ci trouve son origine dans le souci d’enseigner la religion catholique (Ath, Tarascon, Termonde), de représenter la cité (Pézenas, Douai) ou d’animer la fête (Bruxelles, Cassel). Les figures s’enrichissent au fil du temps et traduisent alors d’autres préoccupations. Les danses et les musiques sont presque toujours spécifiques. La préparation de la fête requiert des démarches culturelles nombreuses : apprentissage des musiques ou des danses, préparation des figures, réalisation ou restauration de celles-ci… Ces figures animées sont inséparables de leur ville ou de leur quartier à qui elles donnent une identité et à qui elles servent d’emblèmes. À Ath, Goliath et sa femme sont devenus les emblèmes de la cité dès le 18ème siècle. A Douai, Gayant est devenu le père de ses concitoyens et le Reuze de Cassel est un géant lié à des légendes locales de fondation de la ville. La Tarasque est le monstre éponyme de Tarascon. L’attachement n’est pas moins grand pour le Poulain de Pézenas, les géants anciens de Malines et leur aspect familial ou le Cheval Bayard de Termonde.
Un phénomène européen
Les géants et dragons sont connus dans les processions ou cortèges d’Europe occidentale. Ces figures de grande taille sont particulièrement nombreuses en Europe du nord-ouest (plus de 1500 géants en Belgique, environ 500 dans le nord de la France) mais la France ne peut ignorer la vitalité des animaux fantastiques de l’Hérault ou les évolutions de la célèbre Tarasque. Dans le sud de l’Europe, il faut bien entendu citer l’ensemble de la péninsule ibérique. En Italie, la tradition est surtout implantée dans le sud (Calabre et Sicile). Les géants autrichiens représentent tous le guerrier biblique Samson. Ils ont été introduits dans la vallée du Lungau au 17ème siècle dans le cadre de la contre-réforme. La Grande-Bretagne et l’Allemagne n’ont pas conservé de géants anciens. Aujourd’hui, dans certains sites, la tradition a repris et les figures sont récentes
L'excellence et le savoir-faire
La plupart des géants sont des créations artistiques de grande qualité. Les têtes des géants d’Ath ont été sculptées dans du bois de tilleul par des artistes locaux en 1860 et en 1948. La création des Reuze de Cassel est l’œuvre de deux frères artistes du 19ème siècle : Ambroise et Alexis Bafcop. Un soin particulier a été pris pour la réalisation de la famille de Gayant à Douai. On retrouve la même préoccupation dans la mise en œuvre de la Tarasque avec des matériaux modernes. Le Poulain de Pézenas est une machine ludique bien montée qui doit taquiner le public. Une attention particulière a été donnée pour la réalisation des géants de Termonde. Ceux de Malines ont conservé des têtes et des mains en bois sculpté. Les géants du Meyboom sont des réalisations populaires animées destinées à provoquer le public.
La fête du Meyboom ou plantation de l’arbre de mai est attestée depuis 1597 à Bruxelles. Malgré l’urbanisation de Bruxelles, la coutume n’aurait jamais connu d’interruption. C’est aussi la fête des géants du quartier et notamment de Meeke et Janneke bien connus de tous les Bruxellois.
Des rituels précis
L’exemple du dragon montois est révélateur. Il est toujours porté et animé par une équipe de 11 hommes blancs alors que sa queue est supportée par huit hommes sauvages. Sa grande queue (5 mètres), garnie de crins et de rubans, descend dans le public qui tente de s’emparer des crins et des rubans porte-bonheur et s’efforce de la retenir. Cette scène contribue à l’animation du combat auquel les spectateurs sont ainsi associés. Le rituel du combat est bien fixé. Il obéit à un scénario qui s’est rigoureusement précisé au cours des vingt dernières années. Ainsi, les chinchins, alliés de saint Georges, doivent se battre avec les diables pendant que saint Georges combat le dragon avec la lance, l’épée et le pistolet. C’est avec cette dernière arme qu’il tue la bête vers 13 heures. Établies au moins depuis le 19ème siècle, de nouvelles règles ont été précisées au cours des dernières années pour éviter tout débordement.
La prouesse
A côté de l’aspect esthétique, on mettra en évidence la prouesse technique des porteurs qui soulèvent parfois plus de 100 kilos. Traditionnellement, les géants sont portés par une seule personne. Des équipes de porteurs, composées de 7 à 10 hommes se relaient. Certains géants ont leurs propres danses. Les prouesses des porteurs sont appréciées du public qui savoure l’élégance du mouvement ou admire l’exercice de force. La réussite de la fête tient aussi à la complicité entre le groupe musical et son géant. Parfois, le poids et la taille des géants nécessitent la présence de plusieurs porteurs. Douze hommes sont nécessaires pour faire danser le cheval Bayard de Termonde, seize pour celui d’Ath. Ils doivent allier force, synchronisation et sens du rythme. A Douai, six porteurs portent Gayant et autant pour Madame Gayant. Ils exécutent des rigodons au son du tambour
La Une tradition culturelle bien vivante
Les géants et les dragons sont le produit d’une tradition culturelle européenne nourrie des apports du christianisme et de l’histoire. On pense aux processions, aux entrées royales, aux confréries, aux sociétés de musique, aux artistes et artisans. La Bible, la Légende dorée, les chansons de geste, la mythologie gréco-romaine ont été assimilées par les élites et transmises à leurs concitoyens sous la forme de petites scènes de procession. Le peuple a donc récupéré et transformé ces représentations. La création est à la fois savante et populaire. Elle forme un substrat culturel très riche dont les géants, les dragons, les animaux sont les porteurs.
Des risques de disparition ?
Le phénomène des géants est actuellement bien vivant. Aucune des manifestations reconnues par l’Unesco n’est menacée dans l’immédiat. Certaines manifestations ont connu des crises au fil du temps. Ainsi, il faut bien constater que certaines traditions ont connu une désaffection durant les années 60, et surtout de graves problèmes de figuration. Une prise de conscience des jeunes générations a permis d’y remédier en quelques années et d’assurer une relance durable bien soutenue. La ferveur actuelle s’explique largement aussi par la volonté d’affirmer une identité forte dans le contexte de la crise économique et de la mondialisation. D’autres risques apparaissent parfois. La volonté de promotion touristique pourrait entraîner l’apparition d’animations périphériques qui concurrencent ou marginalisent les éléments les plus traditionnels
2019